Michel Foucher a fait des frontières le fil conducteur de ses pérégrinations. Depuis près de quarante ans, ce géographe et diplomate analyse inlassablement les lignes de vies qu’elles génèrent, fécondent, coupent, bouleversent ou anéantissent. Longer ou traverser les frontières suscite pourtant chez lui toujours «la même appréhension et la même curiosité». «Qui n’a pas besoin d’un horizon ?», souligne le géographe, co-commissaire scientifique d’une exposition au Muséum de Lyon, consacrée à la question des frontières.
Amérique centrale, Afrique anglophone, Europe, Balkans, Caucase, Asie, Moyen et Proche-Orient… Aucune région, aucun pays – excepté l’Australie, le Vietnam et la Corée – dont ce professeur à l’université Lumière Lyon II, fondateur de l’Observatoire européen de géopolitique, n’ait exploré et étudié les limites. Écrits, enseignements en France comme à l’étranger, fonctions et missions témoignent de son expertise. Ancien conseiller du ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine et membre de son cabinet en charge des questions politico-stratégiques, Michel Foucher a été ainsi pendant quatre ans, de mai 1999 à octobre 2002, directeur du Centre d’analyse et de prévisions de ce même ministère, jusqu’à sa nomination comme ambassadeur de France en Lettonie, poste quitté en janvier dernier.
Rencontres, entretiens, négociations au plus haut niveau, «les années Védrine ont été des années d’accomplissement durant lesquelles j’ai mis à disposition mon savoir-faire géographique, fait du politico-stratégique et touché au vif du sujet», dit-il avec nostalgie. Balkans, Caucase, Israël/Palestine, Moyen-Orient : les souvenirs restent vivaces, et l’intérêt porté à ces régions demeure toujours aussi aigu. «J’ai été très heureux au moment de la chute du mur de Berlin. Et je ne voudrais pas mourir avant qu’il y ait la paix au Proche-Orient», confie-t-il en hésitant aussitôt sur l’interprétation de ces mots qu’il ne veut pas emphatiques. Car derrière le costume cravate et la retenue se révèlent l’engagement et les préoccupations d’un homme en prise avec son époque. Les premières expériences de voyages se firent dans ce sens, mais «sans le vouloir ni le savoir». Périple à 18 ans en Méditerranée via Venise, Dubrovnik, Athènes, Héraklion, Chypre et travail dans un kibboutz, puis séjour à Berlin-Ouest, deux ans plus tard, avec incursion d’une journée à Berlin-Est et premiers frissons à Check Point Charlie : «Le besoin de voir» se superposait déjà à la démarche initiatique.
C’est en Amérique latine, au nord-est du Brésil, puis au Chili et en Bolivie que Michel Foucher fait ses premières classes de chercheur et entame un travail de thèse consacré aux frontières du tiers-monde – thèse qu’il nourrira plus tard d’un chapitre sur l’Europe, et qui deviendra, en 1987, Fronts et Frontières, un livre de référence réédité trois fois depuis.
Dans la revue de géographie et de géopolitique Hérodote – dont il fut membre du comité de direction de 1974 à 1991 – Michel Foucher écrit dans le prolongement de ses travaux universitaires des premiers articles remarqués et balaie l’écart entre géographie active et géographie politique. «Le premier consacré aux raisons de l’échec de Che Guevara, je l’ai signé sous le pseudonyme de Thomas Varlin, dit-il. Par prudence vis-à-vis de ma hiérarchie universitaire.» Une signature cependant non dénuée de sens : «Thomas, comme le prénom de mon premier fils, et Varlin, du nom du communard fusillé en mai 1871.»
Voyager pour se confronter à la réalité et ainsi mieux la saisir tisse une trame dans sa vie dont il ne cesse d’alimenter les fils. «Traverser les frontières m’aide à voir.» Cette phrase de Michel Butor, Michel Foucher aime la citer. Car pour ce géographe impliqué, «il n’y a pas d’identité sans frontières, qui sont là pour borner l’existence collective de repères symboliques mais visibles. Quand il n’y a plus de frontières, il n’existe plus de communauté politique. Les identités se diluent et le “sans-frontière” laisse l’individu face à lui-même et au monde. Il n’y a de “moi sans eux, sans les autres”, pas de dedans sans dehors, pas de distance et de liberté sans traversée des frontières.» Selon ses calculs, environ 230 000 km de frontières politiques terrestres et 264 frontières inter-étatiques structurent aujourd’hui le monde. Des chiffres que conflits, traités et adhésions ont alimentés bien loin des discours du “sans frontières” qui fleurissent. Et Michel Foucher de rappeler à cet égard que le “vieux continent” constitue, «du point de vue géopolitique, le plus neuf puisque, depuis 1989, plus de 14 000 kilomètres de frontières internationales nouvelles ont été créées et reconnues». Mais ce qui importe, à ses yeux, «est moins la matérialité des frontières que le rapport entretenu par les hommes avec elles et le regard porté sur ces tracés».
De fait, «traverser une frontière, regarder au-delà, écrit-il en préface du catalogue de l’exposition “Frontières”, c’est prendre le risque de s’aventurer sur un continent étranger, de faire face à un horizon différent, d’être surpris par des visages nouveaux et de se découvrir sans foyer, sans identité, ou du moins, mis en cause (…). Les frontières sont des constructions territoriales qui mettent à distance dans la proximité et provoquent un effet de miroir. Le regard de l’autre et l’ouverture sont toujours un risque, mais le dedans peut-il s’épanouir sans un dehors qu’il inscrit dans son imaginaire ?»
Cette interrogation, Michel Foucher l’a faite sienne. «Chaque individu doit assumer sa part d’Hestia – gardienne du foyer – et sa part d’Hermès – nomade, vagabond, maître des échanges, des contacts, à l’affût des rencontres, dieu des chemins et guide des voyageurs, dit-il. Les exilés et les migrants le savent bien, eux qui ne pensent trouver leur salut qu’au-dehors puisqu’ils ont été chassés de leurs foyers.» Ni conflits, ni exils toutefois dans la vie de cet homme né en 1946 à Montrouge, «dans ce que l’on appelait autrefois “la zone” et qui est devenue l’aire de circulation du périphérique». Seulement le sentiment, très jeune, qu’il trouverait dans le voyage l’équilibre et la réponse à ce besoin vital de liberté, de vérité et d’humanisme.
«Mon goût pour la géographie est né très tôt, raconte-t-il, à l’âge de 4 ou 5 ans, avec un jeu de cartes du monde où il fallait associer pays et capitale.» La lecture de Tintin et des Atlas a donné ensuite aux États leurs premières images, comme les ouvrages illustrés obtenus en prix de fin d’année scolaire, des «livres sur l’Argentine, la Mongolie…Le voyage était alors un espace de liberté lié au mérite.» Les cours d’histoire-géographie reçus au pensionnat des franciscains par trois pères missionnaires et les conférences de géopolitique données le vendredi soir ont nourri son appétence. «Les voyages en France étaient peu nombreux. Les vacances étaient un luxe.» Depuis, son agenda de “semi nomade”, comme il se définit lui-même, jongle en permanence avec des dates de départ et de retour de contrées proches ou lointaines. Avec Paris et la rive gauche pour aire d’habitation, et pour terre, la Touraine du Sud, la terre de ses parents et lieu de sépulture de la famille.
Amérique centrale, Afrique anglophone, Europe, Balkans, Caucase, Asie, Moyen et Proche-Orient… Aucune région, aucun pays – excepté l’Australie, le Vietnam et la Corée – dont ce professeur à l’université Lumière Lyon II, fondateur de l’Observatoire européen de géopolitique, n’ait exploré et étudié les limites. Écrits, enseignements en France comme à l’étranger, fonctions et missions témoignent de son expertise. Ancien conseiller du ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine et membre de son cabinet en charge des questions politico-stratégiques, Michel Foucher a été ainsi pendant quatre ans, de mai 1999 à octobre 2002, directeur du Centre d’analyse et de prévisions de ce même ministère, jusqu’à sa nomination comme ambassadeur de France en Lettonie, poste quitté en janvier dernier.
Rencontres, entretiens, négociations au plus haut niveau, «les années Védrine ont été des années d’accomplissement durant lesquelles j’ai mis à disposition mon savoir-faire géographique, fait du politico-stratégique et touché au vif du sujet», dit-il avec nostalgie. Balkans, Caucase, Israël/Palestine, Moyen-Orient : les souvenirs restent vivaces, et l’intérêt porté à ces régions demeure toujours aussi aigu. «J’ai été très heureux au moment de la chute du mur de Berlin. Et je ne voudrais pas mourir avant qu’il y ait la paix au Proche-Orient», confie-t-il en hésitant aussitôt sur l’interprétation de ces mots qu’il ne veut pas emphatiques. Car derrière le costume cravate et la retenue se révèlent l’engagement et les préoccupations d’un homme en prise avec son époque. Les premières expériences de voyages se firent dans ce sens, mais «sans le vouloir ni le savoir». Périple à 18 ans en Méditerranée via Venise, Dubrovnik, Athènes, Héraklion, Chypre et travail dans un kibboutz, puis séjour à Berlin-Ouest, deux ans plus tard, avec incursion d’une journée à Berlin-Est et premiers frissons à Check Point Charlie : «Le besoin de voir» se superposait déjà à la démarche initiatique.
C’est en Amérique latine, au nord-est du Brésil, puis au Chili et en Bolivie que Michel Foucher fait ses premières classes de chercheur et entame un travail de thèse consacré aux frontières du tiers-monde – thèse qu’il nourrira plus tard d’un chapitre sur l’Europe, et qui deviendra, en 1987, Fronts et Frontières, un livre de référence réédité trois fois depuis.
Dans la revue de géographie et de géopolitique Hérodote – dont il fut membre du comité de direction de 1974 à 1991 – Michel Foucher écrit dans le prolongement de ses travaux universitaires des premiers articles remarqués et balaie l’écart entre géographie active et géographie politique. «Le premier consacré aux raisons de l’échec de Che Guevara, je l’ai signé sous le pseudonyme de Thomas Varlin, dit-il. Par prudence vis-à-vis de ma hiérarchie universitaire.» Une signature cependant non dénuée de sens : «Thomas, comme le prénom de mon premier fils, et Varlin, du nom du communard fusillé en mai 1871.»
Voyager pour se confronter à la réalité et ainsi mieux la saisir tisse une trame dans sa vie dont il ne cesse d’alimenter les fils. «Traverser les frontières m’aide à voir.» Cette phrase de Michel Butor, Michel Foucher aime la citer. Car pour ce géographe impliqué, «il n’y a pas d’identité sans frontières, qui sont là pour borner l’existence collective de repères symboliques mais visibles. Quand il n’y a plus de frontières, il n’existe plus de communauté politique. Les identités se diluent et le “sans-frontière” laisse l’individu face à lui-même et au monde. Il n’y a de “moi sans eux, sans les autres”, pas de dedans sans dehors, pas de distance et de liberté sans traversée des frontières.» Selon ses calculs, environ 230 000 km de frontières politiques terrestres et 264 frontières inter-étatiques structurent aujourd’hui le monde. Des chiffres que conflits, traités et adhésions ont alimentés bien loin des discours du “sans frontières” qui fleurissent. Et Michel Foucher de rappeler à cet égard que le “vieux continent” constitue, «du point de vue géopolitique, le plus neuf puisque, depuis 1989, plus de 14 000 kilomètres de frontières internationales nouvelles ont été créées et reconnues». Mais ce qui importe, à ses yeux, «est moins la matérialité des frontières que le rapport entretenu par les hommes avec elles et le regard porté sur ces tracés».
De fait, «traverser une frontière, regarder au-delà, écrit-il en préface du catalogue de l’exposition “Frontières”, c’est prendre le risque de s’aventurer sur un continent étranger, de faire face à un horizon différent, d’être surpris par des visages nouveaux et de se découvrir sans foyer, sans identité, ou du moins, mis en cause (…). Les frontières sont des constructions territoriales qui mettent à distance dans la proximité et provoquent un effet de miroir. Le regard de l’autre et l’ouverture sont toujours un risque, mais le dedans peut-il s’épanouir sans un dehors qu’il inscrit dans son imaginaire ?»
Cette interrogation, Michel Foucher l’a faite sienne. «Chaque individu doit assumer sa part d’Hestia – gardienne du foyer – et sa part d’Hermès – nomade, vagabond, maître des échanges, des contacts, à l’affût des rencontres, dieu des chemins et guide des voyageurs, dit-il. Les exilés et les migrants le savent bien, eux qui ne pensent trouver leur salut qu’au-dehors puisqu’ils ont été chassés de leurs foyers.» Ni conflits, ni exils toutefois dans la vie de cet homme né en 1946 à Montrouge, «dans ce que l’on appelait autrefois “la zone” et qui est devenue l’aire de circulation du périphérique». Seulement le sentiment, très jeune, qu’il trouverait dans le voyage l’équilibre et la réponse à ce besoin vital de liberté, de vérité et d’humanisme.
«Mon goût pour la géographie est né très tôt, raconte-t-il, à l’âge de 4 ou 5 ans, avec un jeu de cartes du monde où il fallait associer pays et capitale.» La lecture de Tintin et des Atlas a donné ensuite aux États leurs premières images, comme les ouvrages illustrés obtenus en prix de fin d’année scolaire, des «livres sur l’Argentine, la Mongolie…Le voyage était alors un espace de liberté lié au mérite.» Les cours d’histoire-géographie reçus au pensionnat des franciscains par trois pères missionnaires et les conférences de géopolitique données le vendredi soir ont nourri son appétence. «Les voyages en France étaient peu nombreux. Les vacances étaient un luxe.» Depuis, son agenda de “semi nomade”, comme il se définit lui-même, jongle en permanence avec des dates de départ et de retour de contrées proches ou lointaines. Avec Paris et la rive gauche pour aire d’habitation, et pour terre, la Touraine du Sud, la terre de ses parents et lieu de sépulture de la famille.
LeMonde